
Comme un arrêt sur un évènement africain, un arrêt sur un évènement visuel où l’artiste photographe contemporain Baba Diedhiou revisite dans sa « série Ndawrabine » la danse traditionnelle sénégalaise tout en captant le geste, le regard, la lumière, le mouvement et le temps. La série a été exposée au centre culturel Blaise Senghor du 19 au 29 mai 2022 dans le cadre de l’exposition collective intitulée « Africa, la renaissance en marche », organisée pendant le OFF de la biennale de Dakar qui s’est clôturée le 21 juin.
Une puissance créatrice d’une série de tableaux photographiques qui révèle des racines en surfaces et relève à nouveau la notion de l’africanité à travers la richesse du patrimoine culturel sénégalais. Baba Diedhiou est une des valeurs sûres de la photographie et de la vidéo au Sénégal, il est professeur en conception graphique et publicitaire à l’École Nationale des Beaux-Arts de Dakar. C’est un artiste multidisciplinaire dont la pratique artistique allie la photographie, la peinture, la vidéo, l’installation, la technologie numérique et la mise en forme de la matière, de l’espace et du temps.
Le choix de ses sujets, relève chez lui, d’une obsession de l’esprit de groupe, de la solidarité et de la performance pour valoriser l’Afrique et selon ses mots, faire « une humanité plus humaine ». Il ajoute encore « Mes œuvres sont sources du quotidien des populations. Elles sont le reflet de mon environnement ». Par essence dynamique, il regroupe des femmes qui s’habillent en tenue typiquement traditionnelle en jouant sur leurs positions et leurs relations dans un espace photographique donné. Un espace qui vibre au regard et rend libre la photographie au contemporain en invitant le spectateur à vivre l’instant librement.
Cette « série Ndawrabine » ouvre la voie à des photographies qui ont eu lieu, mais elles ne sont plus le lieu de l’être, elles n’ont plus que lieu d’être des tableaux photographiques exposés. Cette voie que trace l’incision photographique dans le réel, et non dans la réalité révoque l’évènement tout en le convoquant dans l’instant. Comme l’écrit Henri Maldiney : « Le propre de l’évènement, c’est d’être irrépétable, de n’avoir pas d’itération dans le temps, puisqu’il fonde le temps. Le réel n’est pas répétable », et c’est précisément ce que pratique sans cesse cette série de photographies puisqu’elle fait glisser le réel du côté de la réalité.
Baba Diedhiou, « Série Ndawrabine », Photographie Impression sur toile canva, Centre Culturel Blaise Senghor, OFF-Dak’Art, Sénégal, 2022.
Cette « série Ndawrabine » est une scène de vie qui s’érige comme une incision transitoire entre réel et réalité, lien entre passé et présent. La réalité est cet évènement causal, présent et maintenu, concret, lequel ne se conjugue pas sur le même mode que celui du réel. Le réel, quant à lui, se transmute en « réalité » car il est infiniment proche de la phusis. Henri Van Lier passe par ce même constat lorsqu’il écrit dans Philosophie de la photographie : « Une photo c’est de la réalité sourdant du réel. Inversement, c’est de la réalité rongée de réel ».
L’artiste sénégalais Baba Diedhiou a créé une autre réalité qui n’imite pas la réalité de cet évènement traditionnel, mais se démarque nécessairement de lui. Ses photographies se signalent comme écarts, intervalles entre l’évènement représenté et sa retranscription en créant des espaces qui brouillent les frontières entre la photographie et la peinture numérique.
Dépassé cet acte d’incision transitoire, deux vies, à la fois associées et dissociées, coexistent, dans un double mouvement d’éloignement et de rapprochement. Un éloignement orienté par et sur le paraître de cet évènement culturel sénégalais et un rapprochement orienté vers et par l’apparaître, vers l’être de l’image. Dans le cas de cette « série Ndawrabine » et de sa poïétique particulière, chaque tableau photographique est spécifique qui s’articule entre apparence et apparition, présence et absence, même et autre, bref entre ressemblance et dissemblance. Il s’agit notamment d’une assemblance car l’image et l’évènement présent sont une partie du même, tout en étant foncièrement différents. Ils sont rassemblés par un écart, liés par une séparation qui, dans la désunion, les rassemblent et les assemblent.
Ainsi, comment cette série est-elle proche d’un développement imageant plutôt qu’imagé ? En faisant un retour au médium numérique, comment l’artiste Baba Diedhiou a organisé son espace entre le photographique et le digital ? Dans quelle mesure cette pratique artistique multidisciplinaire met en avant le monde de l’image en jouant entre le numérique et la coupure du temps et de l’espace ? Suite à cette exposition collective « Africa, la renaissance en marche », comment ce jeune artiste sénégalais a ouvert la voie à une renaissance de la photographie qui invite à vivre un moment de la contemporanéité avec un parfum de l’africanité ?
Le regard qu’elle, femme africaine attire par son beau sourire qui raconte une page d’histoire pleine de joie et d’espoir. « J’interprète le quotidien des populations dans différentes situations sans restriction sur les scènes de vie. Je cherche à exprimer ma passion, mes émotions sur les scènes de vie, la vivacité de l’être humain dans ses différentes activités, dans ses émotions, sa joie de vivre », explique l’artiste photographe Baba Diedhiou. À travers cette danse traditionnelle de « Ndawrabine », il a réuni la vie sociale et le temps, afin de surgir un instant impressionnant et une certaine poésie muette. Devant la spécificité de cette instantanéité, émerge ces couleurs flottantes en dévoilant une réalité autre, basculant entre le reflet du réel et la réalité peinte, la photographie et la peinture digitale. L’artiste crée un dialogue entre ces deux médiums numériques dont chacun s’efforçant d’établir sa singularité. Ils ne cessent de se nourrir et de s’enrichir l’un…l’autre.
Cette photographie, ce qui est senti d’elle, ce qui a été senti d’elle, correspond à une surface d’émotion car elle demande à être percée et écoutée. Traverser la surface iconographique par la peinture numérique permet à cette photographie de se situer en silence et de créer une « parole parlante » qui se place et se déplace dans ce silence même. Cette parole est « créatrice » qui permet à cette photographie de s’exprimer implicitement où la forme est placée explicitement.

Cette présence intense des formes muettes qui remontent à la surface en couleur ouvre la voie au contemporain et au sensible surtout que « la sensation est inséparable d’une forme », écrit Lemagny. Confronter le spectateur à la forme, c’est lui montrer qu’au-delà du silence, il y a une émotion qui pousse la rencontre esthétique vers la phantasia, vers quelque chose censée comme une « lumière magique » qui illumine l’obscurité des choses. Entre « être » et « apparaître », l’artiste Baba Diedhiou crée une complémentarité et une relation symbiotique entre photographie et peinture digitale, lumière et obscurité, couleur et valeur, formes créées et autres enregistrées. Ces formes sont sélectionnées soigneusement car elles font partie de l’équilibre visuel et chromatique de l’espace retravaillé. Un espace qui mène à problématiser la notion même de la photographie qui peut être évaluée comme un avènement de l’évènement. Avènement de la forme pure, de la couleur numérique, de l’immatière, d’une surface révélatrice de la vérité ontologique de l’image photographique, bref du médium.
Les prises de vues photographiques captées par l’artiste sont des images vraies, des copies, qui relèvent de l’apparence et non plus de l’apparition. En retour, une fois l’artiste applique sa peinture numérique sur ces images, elles deviennent métaphoriques dont le fond médiumnique est placé au-devant du contenu iconographique. Ceci renvoie à ses valeurs poïétiques permettant de créer un espace qui suscite l’imagination du spectateur car il le met en arrêt contemplatif.
Pour activer ce principe de priorité du médium sur la surface, le regardeur peut sentir la vie intérieure ou la nature profonde de cette série photographique à travers les effets créés par l’usage des outils techniques de la peinture digitale.
Entre la fixité des images objectives et le mouvement suggéré par la touche numérique et personnelle de l’artiste, se crée un rapport entre le réel et l’imaginaire permettant à cette série photographique d’acquérir un certain positionnement. Ainsi, des axes de réflexion se manifestent par rapport à la peinture numérique qui intègre la photographie dans son cadre en s’appuyant sur des sources photographiques.
En jouant à la fois de l’espace et du temps, l’artiste Baba Diedhiou construit un même espace qui n’est pas d’un même temps. Il présente une image autre fondée sur des paradoxes et une ambivalence temporelle permettant de s’intéresser au contenant plutôt qu’au contenu de l’image. Des gestes qui sont spontanés mais en même temps contrôlées par l’artiste laissant apparaître quelques formes figuratives qui renvoie à cet évènement traditionnel qui est « notre spécificité, notre africanité. », déclare l’artiste.
À travers cette « série Ndawrabine », Baba Diedhiou interroge et s’interroge sur la photographie qui s’inscrit dans l’esprit de l’art africain contemporain. Son travail photographique, artistique et numérique possède une nouvelle réalité extérieure permettant de sentir un monde intérieur. Ceci renvoie aux influences artistiques de l’artiste, de ses réflexions et de sa manière de voir la réalité des objets du monde visible. Il ajoute « J’y trouve un bien être intérieur qui anime ma créativité. ».
C’est cette question de l’être et en particulier l’être de l’image qui fait un avènement de l’évènement ouvrant et s’ouvrant sur le monde de la technologie numérique. Un monde qui permet de créer un langage commun entre la photographie et la peinture à travers une prochaine exposition organisée à Aix en Provence en France. Une exposition en duo entre l’artiste photographe Baba Diedhiou et l’artiste peintre franco-italien Renato Biuuno qui présente des traces et des archi-traces de vie avec l’envie d’aller au-delà de la réalité.
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