
Parties de simples concerts de soutien en juin 1979, les Rencontres Trans Musicales de Rennes se positionnent aujourd’hui comme l’un des plus grands marchés de musiques où artistes, publics, bookeurs, programmateurs et autres professionnels se mobilisent pour vivre de profitables moments. A l’occasion de la 41e édition du festival tenue du 4 au 8 décembre 2019 à Rennes, nous avons rencontré Béatrice Macé, cofondatrice et directrice des Trans Musicales. Elle nous en fait l’historique et nous parle des enjeux actuels du rendez-vous.
Un festival lancé depuis 1979 qu’on revit en 2019, c’est quand-même un bout de chemin !
Oui, 79, première édition et une édition particulière puisqu’on n’est pas un festival dès le départ, on s’est transformé en festival par la récurrence. La première édition n’était pas supposée en avoir quarante derrière. C’était un concert de soutien et au fil du temps on s’est rendu compte que chaque année on recommençait. Donc, oui, finalement nous sommes un festival.
Mais pour cette adaptation, quelles étaient les convictions ?
Jean-Louis Brossard et moi qui sommes aujourd’hui les cofondateurs toujours présents dans l’équipe, on a intégré en 1977 une association qui organisait des concerts sur Rennes. Il faut se rendre compte qu’à l’époque, il n’y avait pas autant de concerts que maintenant, que ce soit à Rennes ou ailleurs. Donc il y avait en tout et pour tout environ 17 concerts de ce qu’on appelle aujourd’hui les musiques actuelles et qui font effectivement du blues au rock, passant par l’électro, tout ce qui est le champ des musiques populaires. A un moment, on a eu des petits soucis d’argent d’où le fait de vouloir faire un concert de soutien. Donc on s’est tourné très naturellement vers les musiciens rennais puisqu’à Rennes il y a toujours eu ce terreau très particuliers dont a besoin, à savoir des artistes, des organisateurs de concerts, des publics. Avec l’association (Terrapin) on avait produit le premier 45 tours de Maquis de Sade et on a fait ce concert de soutien les 14 et 15 juin 1979 à la salle de la cité. Tout le monde était bénévole à l’organisation, environ 800 personnes sont venus par soir et il y a eu une très bonne ambiance d’une part, et d’autre part, il y a eu cette rencontre entre les publics et les artistes de Rennes. C’est là qu’on s’est rendu compte qu’on ne se connaissait pas beaucoup.
On s’est dit : c’est quand-même intéressant qu’on ait été utiles dans cette rencontre, d’autant plus que Maquis de Sade a été repéré et signé le jour de leur passage. Et ça c’est dès les premières Trans. Après, on n’a pas réenclenché le processus d’organisation et ce sont les artistes et les publics qui sont venus nous voir pour nous dire : « c’était bien le truc de l’année dernière que vous avez fait. Est-ce que vous recommencez ? » Là, on leur a dit : ce n’est pas vraiment au programme mais si vous voulez qu’on recommence, ben oui, pourquoi pas ! On a dit qu’on recommence mais qu’on ne pourra plus le faire pour juin parce que c’était trop tard, on le fera en décembre parce qu’en décembre il n’y a pas d’examens à la fac. C’est ainsi qu’on a depuis recommencé tous les ans, en élargissant de plus en plus la programmation à d’autres artistes que des Rennais.
Au bout de quatre-cinq ans, on s’est dit : les Trans c’est vraiment particulier, ça ressemble pas aux concerts qu’on fait à l’année avec l’association, c’est vraiment un moment où l’énergie entre nous est différente. Donc « Terrapin » s’est arrêtée et est née l’association « Trans Musicales » qui organise l’événement. Maintenant on s’est défini comme un festival et un festival c’est un rendez-vous par an. Donc on tient le cap.
Les Trans Musicales qui avaient démarré tel que vous venez de le narrer, aujourd’hui, elles se positionnent comme l’un des plus grands marchés de musique. Comment l’équipe vit-elle ce succès ?
(Sourire) Ce n’est pas une perception qu’on a forcément en interne. C’est une perception en externe qui nous est souvent exprimée d’ailleurs. La perception en interne, c’est qu’on est utiles aux artistes, utiles aux publics. Et tant que ce sera le cas, on continuera. L’idée vraiment c’est de faire se rencontrer des gens qui ne se connaissent pas, de faire s’intéresser des publics à des musiciens à des musiques, à des styles qu’ils ne connaissent pas ou pas bien, faire en sorte que leur curiosité soit activée et satisfaite. Du coup, nous on va beaucoup plus être sur la notion d’utilité. Vous avez tantôt parlé de marché, eh bien, nous on se situe en amont du marché, dans la mesure où le critère principale de programmation de Jean-Louis et de Mathieu c’est la musique. Pas la quantité de publics que le groupe où l’artiste va drainer mais ils se demandent : « quelle est la singularité de cette musique, qu’a-t-elle de nouveau, de différent ? ».
Le caractère payant des accréditations et tout ce qui concerne la billetterie contribuent-t-ils à rendre autonome l’organisation du festival ?
Bien sûr ! En fait, nous sommes auto-financés à 58 %, entre 55 et 58 % suivant les années et 42 à 45 % de subvention. L’idée effectivement c’est de pouvoir avoir un budget assez conséquent pour accompagner vraiment le projet. Le projet, au-delà de la programmation, il va s’articuler sur l’accompagnement artistique et l’action culturelle. Et la dimension professionnelle fait aussi partie du projet puisque c’est elle qui permet aux artistes d’être vus par beaucoup de professionnels et de médias et donc de voir leur parcours professionnel peut-être modifié après les Trans. Je me rappelle beaucoup de groupes qui après leur passage ici ont décroché des dates très intéressantes. C’est une plateforme de repérage. C’est en cela que je parle d’utilité pour les artistes et pour les publics, l’utilité c’est découvrir et pouvoir s’intéresser.
Il y a eu comme un intérêt particulier pour l’Afrique dans la programmation de l’édition 2019. Quelle est la vision ?
Au delà du nombre important de groupes africains (il y a 19 groupes africains cette année), je dirai qu’en élargissant un peu il faut se rendre compte qu’il y a 50 nationalités présentes aux Trans cette année. Et pour nous c’est très important dans la mesure où le projet des Trans c’est d’être fidèle à la réalité de la musique. C’est-à-dire que notre rôle c’est d’être un avant poste qui dit la réalité de la création musicale. Aujourd’hui, de mon point de vue, le spectacle vivant a quand-même beaucoup plus d’intérêt qu’internet- j’assume mon âge, aucun souci, (rire). Le spectacle vivant c’est une rencontre physique entre les artistes et les publics, je dirai même qu’un concert c’est une conversation entre artistes sur scène et publics en face. Quand il n’y a pas de publics, c’est une répétition, pas un concert. Donc le spectacle vivant a une portée particulière dan un moment comme aujourd’hui où bien-sûr le numérique prend de plus en plus de place, je défends l’intérêt du spectacle vivant et je défends son utilité. Ça c’est le premier point.
c’est aux publics de décider quel(s) type(s) de musiques ils ont envie d’aimer ou de ne pas aimer
Le deuxième point, c’est qu’il n’y a pas d’algorithmes en spectacle vivant. On ne t’impose rien du tout. C’est toi qui décides, tu choisis. Nous notre rôle il est de dire : attention, la musique qui est diffusée peut ne pas être correspondante à tout ce qui se passe dans le monde. Vous n’avez jamais entendu ces musiques-là parce qu’elles ne sont pas diffusées en France mais existent et viennent de quelque part et sont intéressantes. Elles apportent quelque chose dans l’histoire de la musique, dans l’histoire des arts, donc nous les faisons venir. Alors par rapport à votre question sur l’Afrique, la vision, c’est qu’en fait : c’est aux publics de décider quel(s) type(s) de musiques ils ont envie d’aimer ou de ne pas aimer. Et notre rôle à nous c’est de leur donner la réalité de ce qui se passe dans le monde, et puisque la terre est petite, on les fait venir de loin.
Les Trans Musicales, quel impact pour les Rennais ?
On a fait un travail, il y a quelques années sur l’utilité sociale du festival. C’est clair que moi je mets la place des publics au même niveau que les artistes. Pour moi, quand on s’appelle « Rencontres Trans Musicales » c’est la rencontre qui est déterminante, et la rencontre elle a lieu entre deux types de personnes : les artistes et les publics. Moi je m’intéresse énormément aux publics, pour moi ce sont les publics qui font les artistes. Donc en s’intéressant à l’utilité sociale du festival, on a été vraiment surpris de voir l’importance que pouvait avoir le festival dans la vie de certains publics pour lesquels les Trans c’est un rendez-vous annuel qu’ils ne ratent pas, qu’ils n’ont pas envie de rater ; un rendez-vous annuel qui à certains égards a des impacts sur leur vécu, sur la manière dont ils pensent, sur leur sentiment de participer à un mouvement collectif, de faire partie d’un territoire qui a une identité. Il y a aussi les impacts économiques, les impacts médiatiques par rapport au territoire, etc.
Je pense qu’un festival aujourd’hui particulièrement c’est un peu des emblèmes territoriaux ; les Rencontres Trans Musicales de Rennes c’est effectivement connecté à la ville et à la métropole qui s’y reconnaissent. Et ce n’est pas particulier aux Trans tout ça. Tu prends le Printemps de Bourges, les Francofolies de la Rochelle, le Festival d’Avignon, etc., à un moment donné tu as une connexion entre le festival et son territoire, ce qui influe forcément sur les publics surtout locaux.
La grande ouverture sur l’Afrique va-telle continuer ou c’était juste pour une édition en passant ?
Ah non ! Jean-Louis, il est totalement intéressé par l’Afrique depuis très longtemps. Dès qu’il a pu programmer des groupes africains il n’arrive plus à s’arrêter. Pour lui, l’Afrique est la mère de toutes les musiques.
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